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Extraits choisis du texte de Joseph Capus.
Travail fait par François des Ligneris (Château Soutard)
en préparation de la journée organisée par l'association SEVE
le samedi 04 février 2006 au Château d'Angers
Afin de mieux préparer la table-ronde du Samedi 4 Février après-midi à Angers, j'ai relu le texte écrit par Joseph Capus et édité par l' I.N.A.O. en 1947 : "Evolution de Législation sur les Appellations d' Origine - Genèse des Appellations Contrôlées".
Il me semble que ce document éclaire véritablement notre culture et notre histoire de vigneron. Je me suis permis d' en choisir certains passages qui concernent des événements déterminants, des cheminements et des argumentations utiles à notre propre démarche, des descriptions de pratiques, de comportements, d'état d' esprit, de recherches de solutions qui m' ont semblé saisissantes d' actualité...
Supprimer des passages du texte de Joseph n'est certes pas respectueux ni de l'esprit ni de la forme de son travail. De plus le choix des extraits ici recopiés (merci Gilles pour ce travail) est subjectif et donne donc un éclairage personnel à cette lecture. Mais malgré ces réserves, je crois que ces passages peuvent nous aider à mieux connaître l'histoire de nos Appellations et donc mieux comprendre les enjeux actuels et peut être pouvoir mieux éclairer notre parcours à venir... (François des Ligneris)

__________________

Joseph CAPUS

Ancien Ministre de l’Agriculture

Président du Comité National des Appellations d’Origine

Des Vins et Eaux-de-Vie

__________________

L’Evolution de la Législation sur les Appellations d’Origine

Genèse des Appellations Contrôlées

__________________

Ouvrage édité par l’INAO en 1947

 

 

Les Fondements de l’Appellation d’origine des Vins fins

 

Aucune production de luxe en France n’est soumise aujourd’hui à un tel contrôle que celle des vins fins et des eaux-de-vie de marque.

Ce contrôle n’a pas été imposé aux producteurs, mais bien réclamé par eux pour tenter de mettre fin à une crise des plus graves, provoquée par des abus sans nombre et dans laquelle allaient sombrer une des principales richesses de France et une des ses gloires nationales.

La législation qui a établi ce contrôle n’est pas née d’une improvisation ; elle est le terme final d’une évolution qui a duré trente ans, provoquant au Parlement des propositions de loi, des discours et des rapports des plus nombreux.

La crise à laquelle le régime actuel a mis fin aurait pu être évitée ; elle a été suscitée par une législation maladroite, ignorante des réalités, origine des émeutes les plus graves qui se soient produites dans l’Agriculture française.

On verra que la législation sur les appellations d’origine a souffert d’une suite d’erreurs procédant toutes de la même cause.

Les travaux d’où elle est sortie cette législation avaient le grave défaut de méconnaître la réalité. Ils s’inspiraient de notions purement théoriques, livresques ou juridiques. Il s’agissait de régir des faits naturels, les conditions de la production, que le coté humain, c'est-à-dire la psychologie des hommes qui devaient obéir à leurs lois.

En somme, on verra au cours de ce travail s’opposer deux thèses différentes : l’une que j’appelle la thèse réaliste parce qu’elle tient compte des faits naturels, se résume en quelques lignes :

L’appellation d’origine n’est pas une simple indication de provenance ; il s’y attache une certaine idée d’originalité et de qualité.

La thèse que je qualifie de réaliste ne sépare pas l’idée d’origine de l’idée de qualité.

En face d’elle une autre a été érigée, négligeant complètement les faits et s’en tenant simplement aux mots : l’appellation d’origine indique l’origine géographique ; on n’a pas à considérer autre chose en elle et il suffit de protéger l’origine sans songer aux autres caractères du vin.

Quand la première, seule, pouvait assurer le maintien de la qualité des vins et donner une garantie, aussi bien au consommateur qu’au producteur honnête, on l’a écartée ; c’est la seconde, qui, fait incroyable, a longtemps triomphé.

Dans la protection de appellations d’origine, il faut envisager deux ordres d’idées : elle doit offrir au consommateur des garanties d’authenticité : il faut que le vin provienne effectivement de la région désignée par cette appellation. Mais cela ne suffit pas : dans le périmètre d’une région géographique ainsi désignée, il existe presque toujours, à coté des terrains aptes à la production de vins fins, des sols d’une autre nature, propres seulement à la culture des prairies ou des céréales, ou même des terrains marécageux.

Le sol étant un des facteurs de l’originalité et de la qualité du produit, le simple bon sens indique qu’un vignoble planté dans des terrains impropres ne mérite pas l’appellation d’origine d’une région renommée. Il est possible aussi que, dans cette région, on plante non pas les cépages nobles à faible rendement dont les vins ont créé la renommée de l’appellation, mais des cépages vulgaires, à grand rendement, qui ne peuvent produire que des vins de qualité inférieure.

Il ne suffit donc pas de garantir l’authenticité du produit, il importe encore d’en assurer la qualité, dans la mesure où elle dépend du sol et des cépages.

Ces deux sortes de garanties auraient dû être liées dans la législation dès le début ; il n’en fut malheureusement pas ainsi.

 

 

Il y a donc à considérer et à protéger dans l’appellation d’origine :

 

1-       l’origine géographique

2-       les usages de production.

 

Il existe deux sortes d’usages, également respectables, également décisifs, également nécessaires à la protection de la marque. Les uns sont relatifs à l’obtention du produit renommé, les autres à la désignation géographique de la région de production.

Par conséquent, une législation protectrice des appellations devra considérer, tout ensemble, ces deux catégories d’usages : ceux qui régissent l’obtention du produit et ceux qui en déterminent la dénomination.

Considérer les seconds à l’exclusion des autres, ce serait se livrer à une œuvre artificielle, sans fondement, arbitraire, car on séparerait des ordres de faits qui sont intimement unis dans la réalité. C’est pourtant vers cette erreur que s’est orientée la législation, dès la loi de 1905.

 

La loi de 1905

 

On peut dire de la loi du 1er août 1905 qu’au point de vue économique elle fut une des plus parfaites et des plus efficaces ; elle fut la base de l’organisation de la répression des fraudes, rendues de plus en plus fréquentes et dangereuses par les progrès de la science ; elle sauva de la grande crise des fraudes les vins ordinaires.

Mais quand aux vins fins et à leurs appellations d’origine, déjà galvaudées, elle se borna à exprimer une intention et, nous allons le voir, dès le début, elle s’est orientée dans une direction regrettable.

La délimitation des régions à appellations fut une conséquence de cette loi.

Le but de la loi de 1905 étant de réprimer les fraudes, il fallait donc définir légalement le produit loyal, préciser quelle était la région qui, seule, avait le droit de porter le nom d’une appellation d’origine déterminée.

En 1906, la Société des Viticulteurs de France organisa une sorte de Congrès des Appellations d’Origine dans lequel les représentants des grandes régions de vins fins de France étaient appelés à décrire les dénominations ou marques des vins de leur région ( le mot d’appellation d’origine n’était pas encore communément employé ).

J’y présentai un rapport détaillé sur les crus de la Gironde.

Dans mon esprit, ce n’est pas l’origine seule que la loi devrait défendre, mais la qualité, ou mieux pour dire, les caractéristiques du vin qui font son originalité.

Aussi attachai-je une grande importance à l’épreuve de la dégustation et surtout aux facteurs naturels déterminant l’originalité et la qualité du vin, le sol et les cépages. Mais je tenais à attirer l’attention sur le danger qu’il y aurait à accorder une appellation d’origine uniquement à cause de l’origine, sans tenir compte des garanties de la qualité dues à ces facteurs naturels : le cépage et le sol.

Je disais à ce sujet : (extrait) " En effet, aujourd’hui que les marques d’origine seront défendues, il serait possible à quelques propriétaires, il faut bien l’admettre, de planter en cépages à grand rendement et de qualité médiocre certains sols impropres d’une région renommée ; ils auraient ainsi des vins d’une authenticité absolue, mais d’une qualité inférieure, capables de disqualifier la région.

Attachant une telle importance à la qualité, je ne pouvait négliger l’importance de la dégustation et j’en parlais dans les termes suivants : Le Tribunal ne sera pas assuré que le vin provient réellement du lieu dont il porte l’appellation que par un seul moyen : la dégustation, aidée de l’analyse chimique. Des études devront être entreprises afin de déterminer les limites entre les divers éléments constitutifs du vin.

A cet effet, une commission composée de courtiers, de propriétaires, de négociants, dans chaque région intéressée, collaborerait utilement avec des chimistes œnologues.

La coopération des tous les facteurs du vin donne à chacun un goût propre : non seulement la dégustation permet de reconnaître les caractères qui sont communs à tous les vins d’une vaste région, comme l’est le Médoc, par exemple, mais elle permet de distinguer le cachet spécial ajouté par certaines influences purement locales, restreintes à une commune, à un terroir, à un seul cru qui fait que les connaisseurs attachent tant de valeur à la sincérité de la marque.

La dégustation, comme tous les arts, a une valeur purement subjective qui dépend de la façon dont elle est appliquée ; mais il ne manque pas, dans chaque région, de connaisseurs éprouvés et d’une probité reconnue, capables de devenir des experts aussi vigoureux que consciencieux.

Les exigences nouvelles qui vont naître de cette épreuve toujours possible de la dégustation seront pour les propriétaires un encouragement à bien faire et une sauvegarde de la renommée de leur appellation régionale.

Il y avait, en outre, dans les rapports que je présentai, une critique des délimitations par l’administration et je posai pour la première fois l’idée d’une délimitation par les tribunaux. "

 

 

L’œuvre législative

 

Phase administrative

 

Les Révoltes de Champagne

 

En vertu de la loi de 1905, des décrets d’administration publique furent pris en vue de délimiter les régions vinicoles.

Voie dangereuse, écrit M. Clémentel, où nous retrouvons successivement toutes les étapes d’une guerre civile moderne : la grève des élus, le refus de l’impôt et finalement l’insurrection.

Les premiers décrets furent relatifs à la Champagne. Il y avait alors de profonds dissentiments entre les producteurs de la Marne et ceux de l’Aube appartenant les uns et les autres à la  Champagne considérée comme une province historique ; mais les terrains, ainsi que les cépages de la Marne, différaient profondément de ceux de l’Aube. Les conditions naturelles de la production n’étaient pas les mêmes et pourtant la délimitation administrative, telle qu’elle était alors envisagée, les confondait sous un même nom.

Le premier décret de délimitation de la Champagne eut lieu le 17 décembre 1908. Il refusait l’appellation Champagne au Aubois et, pourtant il ne satisfaisait pas les Marnais. Les 17 et 18 janvier 1911, une véritable émeute se produisit. A la suite de ces incidents, M. André Lefèvre, député, qui avait eu communication de mon rapport de 1906, reprit la thèse que j’avais exposée.

Il disait dans la séance du 3 avril 1911 : " La loi est dangereuse, parce qu’en attribuant administrativement une valeur fictive à tout ce qui est récolté dans ce périmètre, on donne une prime à ceux qui seraient tentés de planter, dans de mauvaises terres, des cépages douteux, donnant des vins de qualité médiocre et qui, cependant, en vertu de la délimitation administrative, auront très légalement et très régulièrement droit aux noms réputés qu’on a voulu leur donner. Je dis que le jour où vous aurez lancé à travers le monde, avec la garantie du Gouvernement et de l’estampille officielle, des quantités de mauvais vins, des mauvais Bordeaux, des mauvais Champagne, vous n’aurez pas contribué à relever le nom du produit et à accroître le prestige de la marque. "

Un décret du 7 juin 1911, pris pour satisfaire les viticulteurs de la Marne, les souleva pour la deuxième fois. Des maisons de négociants furent pillées. Il fallut encore l’aide des troupes pour apaiser l’émeute.

Les délimitations administratives échouèrent également dans le Bordelais.

On voit donc que l’œuvre de délimitation administrative était entachée d’un double vice : d’une part, cette intervention de l’administration en matière d’arbitrage et, d’autre part, la tendance des décrets à ne considérer que l’origine géographique en faisant abstraction des véritables facteurs de la qualité du vin : le terrain et le cépage.

A partir de ce moment, ces deux conceptions allaient commencer à se heurter au Parlement : la thèse exigeant des garanties de qualité pour l’appellation d’origine et la thèse n’exigeant que la seule origine.

Le conflit entre ces deux doctrines avait commencé au Parlement avec l’intervention d’André Lefèvre et il continua jusqu’à la promulgation du décret-loi du 30 juillet 1935, c'est-à-dire pendant toute la phase des délimitations judiciaires.

 

Phase judiciaire

 

Les qualités substantielles sont prises en considération

 

Le 30 juin 1911, M. Pams, Ministre de l’Agriculture, déposait sur le bureau de la chambre un projet de loi, instituant la méthode des délimitations par la voie judiciaire.

L’article 1er stipulait que, pour la définition de produits revêtus de certains noms d’origine, les magistrats auraient à tenir compte, indépendamment de l’origine elle-même, de la nature, de la composition et des qualité substantielles de ce produit.

La méthode des délimitations administratives était abandonnée pour faire place à une méthode nouvelle, mais les deux thèses opposées continuaient à s’affronter.

Elles étaient exposées ainsi par M. Dariac, rapporteur, le 27 février 1913 : " En ce qui concerne le viticulteurs, le seul fait pour un produit, d’être récolté dans une région doit lui valoir le bénéfice de l’appellation. Pour les négociants, un vin ne saurait avoir droit à l’appellation protégée qu’autant qu’il répond à la définition complète du produit.

Dans ce débat, le consommateur ne saurait cependant être le seul intéressé qu’on n’entendit point. Si le Parlement veut accorder à la viticulture une protection qui lui est nécessaire, il est juste aussi qu’il prenne en considération les vœux de l’acheteur.

Avant d’être déposé au Parlement, le projet de loi fut soumis au Associations du Commerce et le la Viticulture de la Gironde, et, après de longues discussions, intervint, le 18 septembre 1913, l’accord de Bordeaux dont le Gouvernement adopta la plupart des termes.

Quels étaient les principes de cette loi ?

 

  - L’appellation d’origine est un titre de propriété, et c’est par ces jugements de tribunaux que seront réglés les conflits qui les concernent.

  - La loi s’appliquait à tous les produits agricoles qui tiraient de leur appellation d’origine une certaine notoriété : vins, eaux-de-vie, fromages, etc…

   - La loi protégeait les produits désignés par l’appellation d’origine non pas seulement parce qu’il provenaient du lieu d’origine, mais parce qu’ils avaient été obtenus avec les variétés végétales, et selon les méthodes culturales qui en avaient fait la valeur.

 

Le projet qui fut présenté au Parlement par le Ministre de l’Agriculture d’alors, d’accord avec toutes les Associations agricoles, portait dans un de ses articles les mots de "qualités substantielles".

Pour avoir droit à l’appellation d’origine, les produits devaient présenter deux sortes de conditions :

 

 -  Avoir été obtenus dans le lieu ou la région d’origine.

2° - Présenter les qualités substantielles des produits qui faisaient la notoriété de      l’appellation.

 

L’histoire de cette loi montre les lacunes que présentent les méthodes de travail parlementaire, et à quel résultat désastreux elles peuvent aboutir.

La loi vint en discussion le 13 novembre 1913 à la Chambre ; elle y consacra cinq séances qui furent des plus confuses où le véritable but de la loi était complètement négligé.

Les deux doctrines se confrontèrent, mais celle de l’origine complétée par les qualités substantielles fut assez mal défendue. Les parlementaires ne croyaient pas que l’appellation d’origine n’est nullement une propriété collective, bien commun de tous les viticulteurs de la région, dont chacun peut user, mais dont aucun n’a le droit d’abuser.

 

Cette façon de concevoir l’appellation d’origine n’avait pas encore été ainsi présentée au Parlement. Ce n’est que plus tard, dans le rapport Jenouvrier dont nous allons parler, que le caractère collectif de l’appellation d’origine fut mis en évidence avec les conséquences qui en dérivent.

 

Rapport Jenouvrier

 

Le texte voté par la Chambre fur transmis au Sénat qui nomma une Commission dont les conclusions furent exposées par le sénateur Jenouvrier. Son rapport fut déposé au Sénat le 22 juillet 1914. C’est une œuvre juridique des plus intéressantes. Il y définit le véritable caractère des appellations d’origine, droit collectif et non pas propriété individuelle.

Nous tenons à citer une page fondamentale de ce rapport.

Parlant des produits de qualité qui méritent une appellation d’origine, il disait :

" La renommée qui s’attachait ainsi à des produits était le résultat et la récompense des efforts prolongés de générations successives. "

Les garanties de qualité qu’il fallait exiger pour le droit à l’appellation d’origine n’étaient pas envisagées, et, quelle que fût la valeur de ce rapport, les fâcheuses conséquences qu’allait engendrer la loi de 1919 n’en produisirent pas moins. La guerre interrompit l’élaboration de cette loi. Elle ne fut reprise au Parlement qu’après la paix, au moment où le traité de Versailles érigeait en principe la protection internationale des appellations d’origine.

Enfin, la loi fut promulguée le 6 mai 1919.

 

Effets désastreux de la loi de 1919

 

Dès que la paix fut revenue et que les viticulteurs eurent la possibilité de se livrer à des plantations nouvelles, les méfaits de la loi de 1919 ne tardèrent pas à se montrer.

Si les mœurs agissent sur les lois, à leur tour les lois ont une influence sur les mœurs et peuvent les dépraver. On peut dire que certaines mauvaises lois font les mauvais citoyens.

La loi du 6 mai 1919 est un des exemples les plus frappants de cette action des lois sur les mœurs.

Un très grand nombre de viticulteurs, jusqu’alors scrupuleux dans leur conduite à l’égard des lois, ne se rendirent pas compte de l’immoralité de l’action qu’ils commettaient en créant de nouveaux vignobles à grand rendement dans des terrains impropres à la culture des vins fins, qui allaient concurrencer ceux-ci et compromettre la réputation de leur appellation.

C’est ainsi que je vis se transformer le vignoble rouge des vins ordinaires des Palus de Barsac en un vignoble blanc, ayant droit aux célèbres appellations Barsac et Sauternes et dont les vins étaient très loin d’avoir les qualités de ceux qui avaient fait la renommée de ces appellations. C’est ainsi également que, dans le Bas Médoc, on substitua aux anciens vignobles français des hybrides franco-américains à grand rendement d’une culture plus facile, résistant mieux aux maladies, mais dont les vins étaient de beaucoup inférieurs aux vins produits par les anciennes vignes de cette région.

Je dois dire que je fût effrayé de ce mouvement que je craignais et que j’avais prévu dans mon rapport de 1906. La législation viticole venait ainsi de s’égarer dans une redoutable aberration.

 

Une campagne en vue de réformer la loi du 6 mai 1919

 

Peu de mois après, je fus nommé député de la Gironde, en novembre 1919 : j’étais décidé à faire modifier cette loi néfaste. Ma première visite fut pour M. Roux, directeur de la Répression des fraudes au Ministère de l’Agriculture, qui avait été le collaborateur du ministre Clémentel dans l’élaboration de la loi du 6 mai 1919 sur les fraudes et à qui on devait la formule des qualités substantielles.

Je lui exposai ce que je venais de constater en Gironde. Il me dit que les mêmes faits de produisaient en Bourgogne et que dans cette région, un très grand nombre de vignobles d’hybrides franco-américains étaient en train de se créer. Je lui exposais mon intention d’amender sur ce point la loi du 6 mai 1919 et je m’assurais de son concours.

Je résolus donc de faire campagne contre cette interprétation de l’article 1er de la loi du 6 mai 1919, mais je ne voulais pas livrer la proposition de loi que je projetais au hasard d’un débat parlementaire. Je compris qu’il fallait d’abord convaincre les associations viticoles, créer un mouvement dans l’opinion publique et agir par elle sur les parlementaires.

Je saisis toutes les occasions pour montrer les dangers de cette loi dont les viticulteurs sérieux pouvaient dès lors s’assurer par eux-mêmes.

Dans le projet que je méditais, l’appellation d’origine ne pouvait pas être obtenue grâce à l’origine seule, mais elle devait être garantie également par les usages de production relatifs aux sols et aux cépages, comme je l’avais exposé en 1906.

Je pensais qu’il eût été téméraire de reprendre l’expression "qualités substantielles" et de chercher à faire revenir au Parlement sur l’opinion qu’il avait exprimée à cet égard. Il me paraissait plus habile d’édifier la loi sur des principes absolument nouveaux. Il s’agissait de restituer le mot "usages" figurant dans la loi de 1919 son plein sens et d’exiger, pour l’appellation d’origine, non seulement les usages commerciaux qui avaient étendu le nom de la commune primitive, mais encore certaines coutumes de production telles que le sol et les cépages.

On pouvait supposer qu’après les séances de la Chambre de novembre 1913, la thèse de l’origine garantie par la qualité était définitivement battue. Elle trouva encore des défenseurs et nous allons voir le conflit se renouveler devant les tribunaux à  cause de l’interprétation donnée au mot "usages" qui est contenu dans l’article premier de cette loi.

 

Examen de l’article 1er de la loi du 6 mai 1919

 

Nouveaux conflits entre les deux thèses

 

Certains tribunaux pensaient que, pour avoir les droits à une appellation, les produits devaient présenter à la fois les conditions d’origine et les conditions de production conformes aux usages en vigueur dans le pays. Pour d’autres, la condition d’origine suffisait.

 

Examinons le texte de l’article 1er : "Toute personne qui prétendra qu’une appellation d’origine est appliquée à son préjudice direct ou indirect et contre son droit, à un produit naturel ou fabriqué contrairement à l’origine de ce produit, ou à des usages locaux, loyaux et constants, aura une action en justice pour faire interdire l’usage de cette appellation."

Le moins que l’on puisse dire de cet article, c’est qu’il n’est pas aisé à comprendre à une première lecture.

On dit que Stendhal, avant de se mettre à la tâche, lisait quelques passages du Code Civil pour s’entraîner. Son style n’y a certainement pas gagné en éclat, mais son exemple pourrait être imité par les rédacteurs de lois. Les auteurs du Code Civil auraient fait au moins trois phrases pour exprimer les idées contenues en une seule dans cet article.

 

1-       Une phrase pour définir l’appellation d’origine, comme le Code Civil définit la propriété (art. 54) ou la vente (art. 1582) par exemple.

2-       Une phrase pour exprimer quelles conditions devait remplir l’appellation d’origine.

3-       Une phrase pour dire comment devaient se produire les actions en justice relatives à une appellation.

4-       Pour montrer que les tribunaux avaient un pouvoir règlementaire dans cette question, on aurait pu ajouter à cet endroit le texte de l’article 7 disant que les "jugements ou arrêts définitifs décideront à l’égard de tous les habitants et propriétaires de la même commune ou, le cas échéant, d’une partie de la même commune."

 

C’est la rédaction de la phrase n° 2 qui était capitale et c’est grâce à elle que la loi aurait pu avoir de la clarté à la place du langage ambigu de l’article premier. C’est là qu’on aurait vu le sens exact que le législateur voulait donner au mot "usages".

J’ai dit plus haut qu’il existait deux sortes d’usages : les usages d’ordre commercial et qui avaient fini par étendre à des lieux contigus le nom d’une appellation d’origine et des usages de production, notamment ceux qui sont relatifs au sol et aux cépages. C’est dans cette seconde phrase que le législateur aurait précisé si oui ou non il entendait que l’appellation d’origine remplît les conditions de ces deux sortes d’usages.

Il fallait dire : Pour être valable, une appellation d’origine doit s’appliquer à un produit obtenu dans le lieu de l’origine ou dans des lieux voisins qui, en vertu d’usages locaux, loyaux et constants, ont droit à cette appellation d’origine ; de plus, ce produit devra être obtenu conformément aux usages de production locaux, loyaux et constants.

Faute d’une telle précision, des décisions en sens contraires se produisirent devant la justice.

 

Interprétation de la loi par la Cour de Cassation

 

La Cour de Cassation, qui eut à trancher entre des décisions opposées, interpréta l’article 1er de la loi du 6 mai 1919. Elle estima que seuls étaient envisagés par le législateur les usages relatifs à la délimitation de la région d’origine : on ne devait donc tenir aucun compte des usages de production.

 

La loi devient génératrice de fraudes

 

L’interprétation de la Cour de Cassation précipita le mouvement de création des vignobles nouveaux dans les terrains impropres à la culture de la vigne. On peut dire que le législateur de 1919, par la méconnaissance des conditions pratiques de la viticulture, avait fait dévier la loi de son but. Cette loi contre les fraudes était devenue génératrice d’une fraude nouvelle.

Voilà où sont conduites les Assemblées quand elles légifèrent dans l’abstraction, loin des conditions de la réalité !

Ainsi du vin ne présentant aucun des caractères de celui pour lequel l’appellation a été instituée, put jouir néanmoins de cette appellation.

Dans un tel état de choses, que résultait-il ?

C’est que l’appellation de garantissait plus rien.

Le danger que je prévoyais dans mon rapport de 1906, que M. André Lefèvre annonçait à la tribune en 1911, se réalisait.

Les acheteurs étaient trompés.

Avant la loi de 1919, un vin ne pouvait être authentifié que par ses qualités propres ; c’est la probité et la confiance, la valeur professionnelle du commerçant, intermédiaire entre le producteur et le consommateur, qui était la caution auprès de ce dernier, de l’origine du vin.

Désormais, c’était le titre de mouvement qui authentifiait le vin, quelle que fut la nature.

C’est pour profiter de ce titre de mouvement donnant une prime au vin qu’il accompagne, que certains producteurs plantèrent des cépages communs à grand rendement, dans le périmètre des régions délimitées. Or ce titre était délivré alors pour tous les vins d’une région, quelle que fut la valeur. Cette législation fut également néfaste pour les producteurs.

En donnant aux produits médiocres le droit à l’appellation, la législation de 1919 permettait l’exercice d’une concurrence déloyale à l’encontre des véritables possesseurs de la marque.

La collectivité, la nation elle-même subissait un préjudice.

Enfin, la protection des appellations ne pouvait plus être assurée vis-à-vis de l’étranger.

 

Nécessité d’une loi nouvelle

 

Le vote de ma proposition de loi devenait plus pressant et plus nécessaire que jamais.

J’avais profité de tous les Congrès nationaux dans lesquels se rencontrent des viticulteurs, et notamment des présidents de syndicats viticoles des diverses régions de France, pour montrer les dangers de la loi du 6 mai 1919, telle qu’elle était interprétée par la Cour de Cassation. Cinq Congrès nationaux entre l’année 1920 et 1925 adoptèrent successivement ma proposition.

Je n’étais plus la voix criant dans le désert comme en 1906 ; je n’émettais pas une prévision relative des dangers possibles mais j’attirais l’attention sur les dangers réels dont on pouvait constater l’existence. Il se faisait ainsi peu à peu une opinion publique favorable à la réforme de la loi du 6 mai 1919.

M. Chéron, ministre de l’Agriculture, avait nommé une commission dite "des grands crus" pour étudier les remèdes nécessités par la situation critique de la viticulture des vins fins.

Des représentants des grandes régions des vins fins de France étaient membres de cette Commission et, en ma qualité de président, je rédigeais ses travaux vers la réforme de la loi de 1919 et je lui fis adopter le texte de la loi que je devais présenter au Parlement. Etant président du Groupe de défense paysanne de la Chambre, qui comprenait déjà la moitié de ses membres, je lui exposai ce projet et je le fis adopter par ce groupe.

Je la déposai au Parlement le 23 juin 1925, signé par 318 députés.

 

Il était ainsi conçu :

J’intercalai entre le premier et le second alinéa de l’article premier de la loi du 6 mai 1919 la disposition nouvelle indiquée dans le texte ci-après en caractères italiques :

"En outre, l’appellation d’origine d’une commune ou d’une région délimitée conformément aux dispositions du paragraphe précédent ne peut être appliquée qu’aux produits obtenus dans la région ou commune d’origine, conformément aux usages locaux, loyaux et constants."

"Pour les vins, l’aire de production et l’encépagement conditionnent principalement leur appellation d’origine ; en aucun cas les vins provenant d’hybrides producteurs directs n’ont droit à une appellation d’origine."

Ainsi les tribunaux pouvaient fixer d’autres conditions que le sol et les cépages pour établir le droit à l’appellation d’origine.

En 1917, la loi fut enfin votée, dans un scrutin public, par 535 voix contre 0 sous la forme suivante :

" Art.3 – L’article 10 de la même loi est complété par le dispositions suivantes :

Indépendamment des prescriptions relatives à l’origine, contenues à l’article 1er de la présente loi, aucun vin n’a le droit à l’appellation d’origine régionale ou locale s’il de provient de cépages et d’une aire de production consacrée par des usages locaux, loyaux et constants.

Les vins provenant des hybrides producteurs directs n’ont en aucun cas droit à une appellation d’origine. "

 

Avantages de la loi de 1927

 

Elle assura le triomphe définitif de la thèse de l’origine garantie par la qualité. La thèse de l’origine seule, source de tant de déboires, était désormais abandonnée pour toujours.

 

Insuffisance de la loi

 

Si cette loi n’a pas produit le plein effet qu’on attendait d’elle, c’est pour les deux raisons suivantes :

 

1 – Elle était facultative, et ne fut appliquée que dans peu de régions. Elle avait bien été approuvée et réclamée par des présidents de syndicats dans des Congrès nationaux, mais ces syndicats de représentaient qu’une élite, qu’une minorité de viticulteurs, et quand il fallut appliquer les disciplines nouvelles à la majorité, ils ne rencontrèrent plus les approbations nécessaires. Un grand nombre de régions à appellations non règlementées par les tribunaux conformément à la loi nouvelle, se trouvait sous le régime de la loi du 6 mai 1919 ; aussi continuait-on à user de cépages à grand rendement, plantés dans des terrains plus propres à la quantité qu’à la qualité.

 

2 – Le texte primitif que j’avais présenté au Parlement avait été tronqué : il exigeait comme conditions de l’appellation, non seulement les cépages et les terrains traditionnels, mais encore certains usages de production ; mais c’est surtout au degré minimum que nous songions. Il est très regrettable que le Parlement ai rejeté cette condition, car on vit encore dans des régions à appellation des vins de 7° obtenus à raison de 120 à 200 hectolitres à l’hectare, c'est-à-dire avec des rendements quadruples de ce  que devrait être celui d’un vin à appellation.

 

 

 

On voit donc combien les appellations présentaient de différence entre elles quant aux garanties qu’elles offraient. On pouvait les ranger à cet égard en quatre catégories :

 

1 – Pour les unes, il existait une véritable discipline de la production imposée par un jugement dans lequel non seulement l’aire de production, les cépages, mais encore le degré minimum et certaines conditions culturales étaient déterminées comme conditions à l’appellation.

Ces appellations n’étaient qu’une rare exception. Elles montraient aux autres le chemin  à suivre.

 

2 – Pour deux appellations célèbres de la Gironde, la loi de 1927 fut mal comprise et mal appliquée par les tribunaux.

 

3 – Dans d’autres appellations, la loi du 22 juillet 1927 avait été appliquée strictement. Les deux seules conditions exigées : l’aire de production et l’encépagement avaient été fixées par un jugement.

 

4 – Pour d’autres appellations enfin, et c’était une grande majorité, la loi de 1917 n’était pas entrée en vigueur. Les appellations loyales étaient confondues avec les autres.

 

La loi du 1er janvier 1930 entendait bien qu’une distinction fût faite entre la simple indication du lieu de production d’un vin courant et l’appellation d’origine d’un vin fin, quand elle dit dans son article 2 : "En aucun cas il ne devrait y avoir de confusion entre l’indication du lieu de production et de l’appellation d’origine." Mais elle ne donnait aucun moyen pour éviter cette confusion. Elle demandait, en quelque sorte, l’impossible. Pour bénéficier des avantages concédés aux vins à appellation, un très grand nombre de producteurs de vins courants déclarèrent leur vin sous une appellation d’origine.

On ne s’explique pas une telle naïveté de la part du législateur ; comme nous avons eu l’occasion de le dire déjà, il semble que le coté humain leur échappa complètement. Il en résulta une multiplication du nombre des appellations qui contribuèrent à égarer le consommateur.

 

Autres causes du foisonnement des appellations d’origine

 

La loi du 6 mai 1919 stipule que les jugements d’appel en matière d’appellation d’origine sont suspensifs quand les litiges sont portés devant la Cour de Cassation. Aussi les producteurs qui bénéficiaient indûment d’une appellation avaient perdu leur cause devant la Cour d’Appel, n’hésitaient pas à la porter devant la Cour de Cassation et à user ainsi d’appellations litigieuses en attendant l’arrêt de la Cour. Ils gagnaient ainsi un temps qu’il leur était précieux et les bénéfices qu’il tiraient d’une appellation appliquée indûment compensaient largement les frais de procédure. Aussi, les appels devant la Cour de Cassation étaient-ils presque la règle.

Enfin, l’article 3 du 1er janvier 1930 qui interdit dans la dénomination des vins les mots "crus", "châteaux", etc., quand ils désignent non un domaine mais un cru fictif n’appliquait pas cette interdiction aux vins déclarés avec une appellation d’origine. Alors les négociants qui avaient réussi à lancer des clos imaginaires déclarèrent ces crus fictifs avec une appellation d’origine, communale ou régionale, qu’ils n’avaient jamais songé à revendiquer auparavant.

On aurait dit que la loi cherchait les occasions qui pouvaient permettre la multiplication des appellations d’origine.

 

Enfin, des producteurs engageaient devant les tribunaux des procès fictifs afin de faire délimiter par un jugement leur région viticole en se fondant sur des considérations géographiques et les tribunaux délimitaient ainsi des régions nouvelles sans rechercher si l’appellation ainsi délimitées recouvrait des vins d’une certaine qualité, ni même si elle avait une certaine notoriété en vertu d’usage locaux et constants.

En vue de remédier à la surproduction, une loi dite "statut viticole", en date du 4 juillet 1931, dont nous allons parler plus loin, prévoyait une certain nombre de dispositions frappant des propriétaires produisant plus de 400 hectolitres : des redevances atteignant les hauts rendements et les récoltes importantes ; la limitation des plantations, le blocage d’une partie de la récolte dans certaines années, la distillation obligatoire d’un certain pourcentage de la récolte. Or, les vins à appellation d’origine étaient dispensés de ces mesures, quelle que fut la valeur de l’appellation d’origine. De là, la création d’un grand nombre d’appellations d’origine improvisées.

Enfin, ajoutons que la Parlement lui-même, contrairement aux principes qu’il s’était imposés et à la doctrine formulée dans le loi du 6 mars 1919, commença à se livrer, sous la poussée des représentants de certaines régions, à la délimitation de certaines appellations d’origine sans fixer aucune garantie de qualité relative aux sols ou aux cépages, et cette délimitation, ayant ainsi une formule légale, comportait l’exonération des contraintes imposées aux viticulteurs de vins courants par le statut vinicole.

C'est-à-dire que le désordre était arrivé à son comble.

M. Lafforgue, directeur des services agricoles de la Gironde, écrivait à ce sujet dans une étude objective et documentée : "La proportion des vins déclarés avec appellation s’est accrue en 15 années d’une manière inquiétante. C’est là, à notre avis, une des causes essentielles de la crise qui pèse si lourdement sur les vins de qualité réelle".

En 1923, la totalité des vins déclarés avec une appellation d’origine n’excédait pas 5 millions d’hectolitres. Elle est montée à 9 995 682 Hl en 1931 et à 15 720 756 Hl en 1934.

De 1930 à 1939, la moyenne des vins déclarés avec appellation d’origine était de

10 700 00 Hl, soit 19 % de la production métropolitaine. Les producteurs de vins courants du Midi et de l’Algérie, durement atteints par le blocage, protestèrent avec raison contre les dispenses accordées à des producteurs de vins courants, grâce à des appellations d’origine fallacieuses.

Un mouvement général s’éleva contre ces abus ; il était de toute nécessité que l’on y mit fin.

 

Le statut viticole : une évolution des mœurs

 

A partir de 1927, une crise, sans cesse croissante, due à la surproduction, a sévi dans le commerce des vins ordinaires.

En 1931, le Parlement eut à se prononcer sur un système d’organisation de la production viticole qui avait pour but de règlementer les ventes et d’empêcher la crise. Il s’agissait de maintenir un équilibre entre l’offre et la demande, en réduisant la première et en augmentant la deuxième. C’est cet essai d’organisation qu’on a appelé le statut viticole.

Il importait de prévenir les dangers que la surproduction a provoqués dans le monde entier, aussi bien en Amérique qu’en Europe.

Le statut viticole de 1931 interdisait les plantations pendant dix ans pour les propriétés de plus de 10 hectares. Sa mesure la plus importante était le blocage, c'est-à-dire l’interdiction faite aux viticulteurs récoltant plus de 400 hectolitres d’expédier au-delà d’une proportion déterminée de la récolte. Une distillation obligatoire leur était imposée lorsque les disponibilités totales, d’après les déclarations de récolte, dépassaient un maximum fixé.

 

C’était là des mesures tout à fait nouvelles, qui contrastaient avec le libéralisme de l’époque ; c’était une entreprise, non pas d’économie dirigée par l’Etat, mais plutôt d’économie organisée par la Profession elle-même, car les Pouvoirs publics ne faisaient qu’entériner des mesures réclamées par les producteurs.

C’était le premier essai d’organisation de la production en France.

Cette tentative révèle une véritable évolution dans les mœurs ; elle montre que la profession était prête à subir certaines contraintes en vue d’obvier à des dangers menaçants.

Seuls, à cette époque, les producteurs de vins fins jouissaient donc de la liberté la plus absolue.

Nous avons montré que cette liberté allait jusqu’à l’anarchie.

A la vérité, la crise des vins fins, comme on a pu le voir, était complètement différente de celle des vins ordinaires puisqu’il n’y avait pas de surproduction de vins fins ; bien au contraire, car les surfaces plantées en vigne étaient réduites dans les pays de production renommée.

Mais la discipline économique que s’imposaient les producteurs de vins courants était un exemple pour les producteurs de vins fins.

Si l’on songe à l’irritation causée chez les producteurs de vin ordinaire par le nombre toujours croissant des viticulteurs échappant, grâce à des appellations fallacieuses, au blocage et distillation ; si l’on considère, d’autre part, la déclaration constatée de 16 millions d’hectolitres de vin en appellation d’origine, si l’on envisage enfin ce que l’on appelait alors, à juste titre, " les scandale des appellations d’origine ", on aboutit logiquement à cette conclusion que le moment était venu de faire accepter aux producteurs de vin fin l’effort de la discipline exigée par la loi que j’avais l’intention de proposer au Sénat.

 

 

Phase technique

 

Examen des solutions

 

Devant le discrédit où étaient tombées les appellations d’origine, que fallait-il faire ?

Devait-on fermer les yeux ?

Alors on laissait disparaître une richesse nationale.

Il n’y a pas de produit de qualité sans une appellation qui le distingue et le différencie du produit ordinaire. Mais il n’y a pas d’appellation viable sans protection.

Renoncer à protéger les appellations d’origine vinicoles, c’était renoncer à toute politique de la qualité en matière viticole.

Les vins fins d’aujourd’hui sont aussi bon que jadis, et leur production est peut-être le seul mode de l’activité humaine dans lequel, à cette époque, il n’y eut pas d’exagération de la production, car chaque année on avait arraché avant la guerre de 1914 des milliers d’hectares dans les vignobles les plus réputés.

Fallait-il permettre que les producteurs de vins fins, atteints déjà si gravement par la crise de l’exportation, vissent leur production compromise par la concurrence déloyale des producteurs de vins ordinaires, sans originalité, sans supériorité, qui n’avait cherché dans l’appellation d’origine qu’un moyen d’échapper aux lourdes charges du statut viticole pesant sur les vins ordinaires.

Allait-on refuser toute protection aussi bien au consommateur qu’au producteur loyal ?

Allait-on permettre qu’un consommateur achetant au-dessus du prix du vin ordinaire un vin à appellation d’origine, ait deux chances sur trois d’être trompé ?

La France est le pays du monde qui a fait le plus d’efforts en faveur de la protection de la propriété industrielle, littéraire, artistique, viticole. Les juristes qu’elle a envoyés dans les Congrès internationaux ont fait autorité. Elle a imposé dans les traités de paix la défense de ses appellations dans 24 nations.

La France, qui a les plus nombreuses et les plus prestigieuses appellations d’origine allait-elle se laisser devancer dans la protection de ces appellations par l’Italie, le Portugal, l’Espagne, le Luxembourg ?

Il s’agissait ici d’un intérêt national au premier chef.

Que faire ? Impossible de laisser les choses en l’état. Il fallait donc tenter un effort de redressement ou avouer la faillite de la France dans le domaine où, depuis des siècles, elle occupe la place la plus éminente et à une époque où le salut de sa production est dans la recherche de la qualité.

Examinons les solutions possibles.

Je pense qu’il pouvait suffire de ramener le volume des appellations d’origine à ce qu’il devait être réellement, c'est-à-dire de 16 millions d’hectolitres à 5 ou 6 millions.

C’était évidement le désir général ; la grande préoccupation était alors de faire disparaître les fausses appellations d’origine. On pensait que les véritables appellations d’origine qui subsisteraient conserveraient leurs anciennes qualités et mériteraient leur réputation.

Mais comment parvenir à cette sélection ? Comment n’admettre sous une appellation d’origine que les seuls vins de qualité obtenus conformément aux anciens usages locaux qui avaient créé leur réputation ?

On ne pouvait y parvenir que par le contrôle de chacun des éléments de la production : le sol, les cépages, les méthodes de culture.

 

Dépôt et promulgation de la loi sur les appellations contrôlées

 

Tel fut le but de la proposition de loi que je déposai devant le Sénat, le 12 mars 1935.

Je disais dans l’exposé des motifs : " Le problème qui se posait à nous était double :

 

1° - Permettre au consommateur de distinguer facilement les appellations qui recouvrent des vins de qualité de celles qui ne s’appliquent qu’à des vins ordinaires ;

 

2° - Pour les appellations qui, jusqu’à ces temps derniers, ne s’appliquaient qu’à des produits de choix, instituer une discipline de la production, un contrôle et une garantie de la qualité. Dans ce but, exiger pour les appellations véritables certaines conditions de production, non seulement relatives aux cépages et à l’aire de production, mais encore à une limitation de la production moyenne à l’hectare et à un degré minimum, conditions variables selon les appellations. Mais qui pourra fixer ces conditions ? Les tribunaux ? On conçoit qu’on ait fait appel à eux pour déterminer la délimitation des appellations, car il pouvait y avoir un litige entre parties adverses réclamant l’usage d’une appellation.

Mais il s’agit maintenant d’assurer la qualité des vins recouverts de ces appellations d’origine, de la garantir devant les consommateurs, en un mot d’établir une discipline de la production.

Evidemment, ce ne peut être l’œuvre des tribunaux, cette discipline étant une œuvre éminemment professionnelle ne peut être instituée que par les intéressés eux-mêmes.

Il est naturel que l’administration y collabore ; mais il ne paraît pas possible qu’elle accomplisse seule cette tâche.

Dès que la loi de 1919 a donné un statut aux appellations d’origine, il s’est créé dans toutes les régions de vins fins des Syndicats pour la défense des appellations d’origine, puis des Unions ou des Fédérations de syndicats.

C’est leur groupement qui peut avec le plus d’autorité et de compétence déterminer les conditions de production de chaque appellation, grâce au concours des associations locales, des experts locaux, des fonctionnaires spécialisés.

Ces conditions pourront varier selon les régions, mais elles devront être inspirées par une doctrine unique : l’élimination des cépages communs et des terrains impropres, l’établissement d’un degré minimum et d’un rendement maximum, variables selon les appellations.

L’Etat sera représenté dans le Comité, et il le sera par un nombre important de fonctionnaires.

Il s’agit maintenant de différencier les appellations d’origine s’appliquant à des vins fins, dont la qualité est contrôlée, de celles qui recouvrent des vins ordinaires.

On ne peut interdire à des viticulteurs de donner à leurs vins, quels qu’ils soient, un nom d’origine. Mais on peut faire connaître au consommateur que certaines appellations correspondent à des vins de choix. Ces appellations s’appelleront "contrôlées ".

Par ce seul fait, une sélection sera instituée dans les appellations ".

 

Dans l’exposé des motifs, je prévoyais également la création du Comité National.

J’exposai la proposition de loi instituant les appellations contrôlées sur les bases que je viens d’indiquer au Groupe Viticole du Sénat qui l’adopta.

Elle fut signée par tous les représentants des régions de vins fins et déposée le 22 mars 1935.

Il y avait donc dans chaque région viticole deux appellations de même nom : l’une contrôlée et l’autre libre, qu’on appelait appellation simple.

Bien que le régime de l’appellation unique ne fût pas imposé aux viticulteurs, néanmoins ceux qui se décidèrent à l’adopter se montrèrent d’année en année de plus en plus nombreux.

 

C’est le 3 avril 1942 que l’appellation contrôlée est devenue obligatoire.

 

mise en ligne : 02/02/2006

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