Ippolito Capilupi : Épitaphes d’ivrognes

Diego Velázquez, El triunfo de Baco o Los borrachos, 1629. Museo del Prado, Madrid.
Diego Velázquez, El triunfo de Baco o Los borrachos (détail), 1629. Museo del Prado, Madrid.

Ippolito Capilupi  (1511-1580) est le représentant le plus illustre de la famille noble Capilupi de Mantoue. Il a fut évèque de Fano, secrétaire et conseiller des papes Jules III et Pie IV, nonce apostolique auprès de la République de Venise…

Traduction de Lionel-Édouard Martin

Ma vie fut un festin : j’eus à cœur les tonneaux
Et les godets ; du vin, j’en eus de pleins barils.
Et point amer, le jour, où à mon domicile
La mort frappa ma porte à coups de pied brutaux.
Car le bruit de ses pas ne me vint à l’ouïe :
J’étais d’âme et de corps en vin pur enfoui.

*

Ma vie durant, j’ai bu – sans fin, tel l’arc-en-ciel,
Tel que le sol brûlé de soleil boit l’averse,
Tel que l’océan boit, sans trêve, sources, fleuves,
Tel que tarit la mer ce soiffard de soleil.
Ne prétends pas, Silène, avoir plus que moi bu ;
Et toi pareil, Bacchus, tends-moi les mains – vaincu.

*

D’autres entonneront « Renom tiré du sang »,
Et « Rois sous le joug mis d’une main téméraire »,
Sur leur tombe inscriront « Ennemis repoussés,
Mille vaisseaux détruits à la faveur de Mars. »

Moi, mon grand coup d’éclat, c’est d’avoir, sous les ordres
De Bacchus, souvent bu mille canons de vin ;
Et ne suis pas peu fier, si sur ma tombe pendent
– Car tels sont mes trophées – canthare et cruche énorme.

*

En mon heureuse vie, je n’étais pas de Flore
Vraiment le familier, mais plutôt de Bacchus.
Qu’on ne recouvre pas ma tombe de fleurs fraîches,
Mieux vaut la recouvrir du velours d’un vin pur.
Si son odeur me fut, de mon vivant, plus douce
Que celle des fleurs : mort, elle me le sera.


Vita mihi jucunda fuit : mihi dolia cordi,
Et cyathi, et plenis vina fuere cadis.
Nec mihi amara dies, cum nostra ad limina venit,
Et pede percussit mors violenta fores.
Namque pedum strepitus nostras non attigit aures,
Corpus erat somno, mensque sepulta mero.

*

Dum vixi, sine fine bibi, sic Imbrifer arcus,
Sic tellus pluvias Sole perusta bibit.
Sic bibit assidue fontes , et flumina Pontus,
Sic semper sitiens Sol maris haurit aquas.
Ne te igitur jactes plus me, Silene, bibisse ;
Et mihi da victas tu quoque, Bacche, manus.

*

Jactabunt alii partum sibi sanguine nomen,
Regiaque audaci colla subacta manu.
Et tumulo inscribent, depulsos moenibus hostes,
Milleque disjectas Marte favente rates.
Maxima palma mihi, Baccho duce, pocula mille
Grandia, cum multo saepe bibisse mero.
Gloria nec tenuis, si cantharus ante sepulchrum
Pendet, et immensi, nostra trophaea, cadi.

*

Nil mihi cum Flora dum felix vita manebat,
Sed mihi cum Baccho plurimus usus erat.
Non igitur sit sparsa novis mea floribus urna ;
Sed potius dulci sparsa sit illa mero,
Ut fuit hujus odor vivo mihi floris odore
Suavior, extincto sic erit ille mihi.

(in Carmina illustrium poetarum italorum tomus tertius [1719] pp. 227-228)

N.d.T. : Cette traduction originale, due à Lionel-Édouard Martin, relève du droit de la propriété intellectuelle. Il est permis de la diffuser, à la condition expresse que le nom du traducteur soit clairement indiqué.

Source : “Ippolito Capilupi (1511-1580) : Épitaphes d’ivrognes”, in Lionel-Édouard Martin. [En ligne.] Mise en ligne : 28 juin 2015. Disponible sur : http://lionel-edouard-martin.net/2015/06/28/ippolito-capilupi-1511-1580-epitaphes-divrognes/ (Page consultée le 01/07/2015).

 LiensIppolito-Capilupi-Carmina

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