Alexandre Neckam : La vigne mystique

Le Christ-Vigne de Lorenzo Lotto, Histoire de Santa Barbara, fresque de l'église de Trescore, Bergame, 1524.
Le Christ-Vigne de Lorenzo Lotto, Histoire de Santa Barbara, fresque de l’église de Trescore, Bergame, 1524.

Alexandre Neckam (1157-1217) est un religieux, philosophe et encyclopédiste anglais.

Traduction de Lionel-Édouard Martin

Le cep que l’on ne taille pas se transforme en arbuste sauvage. La vigne, en effet, délicieux présent de la nature en sa munificence, s’est heureusement accordée aux besoins des hommes. Du fait de leurs soins avisés et de leur savoir-faire, elle donne à voir quelquefois des épousailles de bel aspect, quand, courant çà, là, les sarments, noués d’un engagement mutuel, s’entreprennent avec douceur, placidement étayés de tuteurs et de piquets, et deviennent pareillement gros du fruit de joie, la rafle s’enrichissant de grains.
Le raisin, quant à lui, recèle les pépins, et au sein du grain, le jus, qui par l’ingénieuse opération de la nature agissante et la bienfaisante, contributive, chaleur de l’air, se transforme avec bonheur en une liqueur des plus délicieuses et des plus agréables, dont se réjouit le cœur de l’homme.
Le pampre, par toute son ampleur, reçoit les assauts de l’air au moment opportun, et par la fenêtre laisse pénétrer la douce chaleur du soleil.

Sur la terre du libre arbitre, croît pareillement, généreuse, la vigne des vertus, cultivée par le Grand Cultivateur. Elle connaît de joyeuses épousailles, où l’âme exulte et prend époux. L’étayage s’effectue des besoins naturels de l’esprit – les bons, où les vertus se reposent – sur les vertus elles-mêmes ; et de même que la vigne est par le raisin fécondée, par les pratiques méritoires de la vie l’est la vigne des vertus.
Le vin spirituel est la joie spirituelle de l’esprit : grâce à elle, l’esprit, sobre et désenivré, oublie l’amour de ce monde et brûle de l’amour de l’Aimé.
Le pampre constitue la protection divine qui contient les manœuvres de l’Aquilon et ouvre à la douce compassion de l’Esprit Saint. Les cohortes angéliques exultent, quand par bonheur n’est plus nécessaire la garde diligente par eux établie afin de préserver la vigne des renardeaux – car, de même que les vignes sont entourées de murs, les âmes où fleurissent les vertus sont confiées à la garde des Esprits Supérieurs.

On désigne ordinairement par « vigne » la Sainte Église, laquelle s’orne des sarments de la noble charité, des pampres de la parole contrant, de leur rafraîchissant pouvoir, la chaleur des vices, et des grappes des fructueuses méditations. Est-il bois plus racé que le sarment, plus commun que le rameau sec ? Le rameau sec sert-il à autre chose qu’à alimenter le feu ? Ainsi, tant que l’on relève de l’unité de l’église, de son nom, de sa divinité, a-t-on la vigueur du sarment, verdoie-t-on du vert de la grâce. Mais séparé du corps de l’unité de l’église, on devient un rameau sec, réservé au feu de l’enfer. Mais ô douceur de la compassion divine ! Ô richesses infinies de la miséricordieuse bonté du Christ ! Le rameau sec de bois, retranché du corps de la vigne, ne retourne point au sarment racé dont est constituée la vigne : mais l’homme retranché, du fait de ses mauvaises actions, de l’unité de l’église, reprend, grâce à la munificente bonté du Christ, sa place dans l’unité de l’église unie.


Vinea non putata in labruscam silvescit. Est igitur vitis naturae munificae deliciosum munus, quod usibus humanis laeta concessit. Quandoque vero artis humanae diligentia sollerti thalamos aspectu decoros vitis praebet, dum confoederatis nexibus errantes sese dulciter amplexantur palmites, quos virgae aut arundines leniter sustendant. Onerantur vero idem laetitiae fructu, dum botri racemis ditantur. In uva autem latet glarea, cum acino inclusa vinatio, quae quidem ingeniosa naturae operatione agentis, cooperante beneficio caloris aeris, in liquorem deliciosissimum et jocundissimum et cor hominis laetificantem mutatur feliciter. Pampinus latitudine sua excipit aeris insultus, cum res ita desiderat, et fenestra clementiam caloris solaris admittit. […]

Sic sic in terra liberi arbitrii crescit laeta virtutum vitis, quam summus agricola colit. Haec jocundos thalamos habet, quibus anima sponsum suum exultans suscipit. Sustentant autem quodammodo virtutes ipsas naturalia bona animi, in quibus virtutes quiescunt. Sicut autem vitis foecundatur botris, sic et virtutum vinea usibus meritoriis vitae. Vinum autem spirituale est spiritualis mentis jocunditas, qua mens sobrie debriata amoris rerum mundanarum obliviscitur, fervens in amore dilecti. Pampinus est divina protectio, quae insidias Aquilonis excludit, et clementiam miserationis Spiritus Sancti admittit. Exultant angelici cives, cum feliciter diligentiam custodiae suae consummant, quam vitibus observandis ne eas vulpeculae demolirentur adhibuerunt. Sicut namque maceria vineae cinguntur, sic et mentes virtutibus ornatae muniuntur custodia supernorum spirituum.

Solet item per vitem designari sancta ecclesia, quae palmitibus honestarum operationum, et pampinis verborum contra vitiorum aestum refrigerium praestantium, et botris fructuosarum meditationum decoratur. Quod autem ligni genus palmite generosius, quod sarmento abjectius ? Ad quid utile est sarmentum, nisi ut ignis pabulum fiat ? Sic sic quamdiu es de unitate ecclesiae et nomine et numine, quasi palmes viridis es, virens virore gratiae. Cum vero separaris a corpore unitatis ecclesiasticae, tanquam sarmentum effectus es, ignique gehennali reservaberis. Sed o dulcedo miserationis divinae ! O copiosae divitiae bonitatis misericordiae Christi ! Sarmentum materiale semel praecisum a corpore vineae, non redit in generositatem palmitis entis in constitutione vitis, sed homo, meritis suis malis exigentibus, ab unitate ecclesiastica praecisus, postea de munificentia benignitatis Christi revertitur in unitatis ecclesiasticae unitatem.

(in De naturis rerum Chapitre CLXVII)

N.d.T. : Cette traduction originale, due à Lionel-Édouard Martin, relève du droit de la propriété intellectuelle. Il est permis de la diffuser, à la condition expresse que le nom du traducteur soit clairement indiqué.

Source : “Alexandre Neckam (1157-1217) : La vigne mystique”, in Lionel-Édouard Martin. [En ligne.] Mise en ligne : 8 juillet 2015. Disponible sur : http://lionel-edouard-martin.net/2015/06/08/alexandre-neckam-1157-1217-noces-vineuses/ (Page consultée le 12/06/2015).

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Alexander Neckam, De naturis rerum.
Alexander Neckam, De naturis rerum.

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